20 novembre 2009
Résumé de la lecture de Tracey Rose à doual’art, le vendredi 20 novembre 2009.
The Wailers, vidéo, 13 mn, 2005.
« Pour moi, il est important de parler d’évènements voire d’anecdotes autour de mon travail. C’est aussi ça qui donne du sens à ce je réalise ».
L’artiste fait le récit d’un différent qu’elle a eu avec son ami, il y a plusieurs années, lors d’une sortie en boîte de nuit.
Un homme blanc vient le saluer et l’accapare pendant un moment. Tracey, agacée, demande des explications. L’homme blanc lui explique : « Ton petit ami me donnait des cours de basket, il y a quelques années. Tu imagines combien ça peut être ennuyeux pour lui de donner des cours de basket à des juifs blancs pourris gâtés ? »
Choquée, Tracey décide d’aller dormir. C’est là qu’elle fait ce rêve étrange : cinq jeunes juifs hassidiques blancs jouant au basket au fond d’une piscine.
The Wailers, est une vidéo qui donne à voir les images de ce rêve. Le spectateur entre dans une salle aux murs bleus. Pas de son, mais un silence enveloppant. L’artiste voudrait qu’on se sente immergé, comme au fond de l’eau.
Des séquences tournées dans son quartier à Johannesburg, où l’on voit ces jeunes hommes en costume jouer au basket au fond de l’eau. « Wailers« , en anglais signifie quelque chose comme « plaignants » ; une référence au Mur des Lamentations, en Israël, quelque chose de l’ordre de la complainte, que l’artiste apparente aussi au chant rastafari des Wailers, un son qu’elle imaginait autour de la piscine.
San Pedro V, vidéo, 6 mn, 2005.
Cette vidéo est le résultat d’une performance que Tracey Rose a réalisée en Israël.
Cette fois, ce n’est pas le Mur des Lamentations, mais le Mur dit de la Honte, cet énorme édifice de béton qui sépare Israël des Territoires palestiniens. Dressé par l’Etat d’Israël, pour lutter contre le terrorisme il s’étend sur des milliers de kilomètres, transforme le paysage et impose une frontière quasi infranchissable aux populations.
On peut voir des images presque amateur de l’artiste, presque nue le corps peint en rose, la bouche agrandie en noir. Une sorte de caricature du blanc, comme ils ont pu représenter les noirs. En fait, c’est un San Pedro inverti qu’elle incarne. Elle joue de la guitare électrique devant le Mur. On reconnaît l’hymne national israélien. Petite, elle l’appelait « Hebrew folk Song » c’était une religieuse allemande qui le lui avait appris…
Soudain, San Pedro baisse sa culotte et fait pipi sur le Mur. Un geste drôle, provocateur, plein de mépris…
Mais pas seulement. Tracey, transforme le mot anglais « urination » qui désigne l’action d’uriner en « U R a nation » : « vous êtes une nation« .
Au-delà de la simple farce foutraque, l’artiste met profondément en doute la légitimité de cette frontière.
Ciao Bella, vidéo, 31 mn, 2001.
Ciao Bella a été réalisée spécialement pour la Biennale de Venise de 2001.
Tracey explique que ses travaux dépendent très fortement du contexte dans lequel ils seront montrés. Le récepteur, le public qui sera confronté à telle ou telle pièce influencent son propos l’esthétique de son travail. Un art contextuel, qu’elle laisse aussi exister de manière autonome.
La Biennale de Venise c’est l’un des hauts lieux de l’art contemporain au niveau international.
La Biennale de Venise, c’est un contexte de monstration bien particulier, qui a quelque chose d’officiel, de conventionnel, et qui se déroule en Italie, pays où le Catholicisme tient une place plus qu’importante.
A nouveau, Tracey se met en scène. Elle incarne une douzaine de personnages allégoriques qui apparaissent ensemble à l’écran. Parmi eux, la Cicciolina, star du porno, ex-épouse de l’artiste Jeff Koons et membre du parlement italien. Elle trône au centre, nue, vulgaire, se fouettant, dans la posture du Christ crucifié qui s’auto-flagelle. « La Cicciolina incarne parfaitement la prostitution du monde de l’art. »
On est dans une ambiance étrange, dérangeante où chaque personnage-symbole agit seul, face au public, comme dans un théâtre névrosé. Il y a même une vieille institutrice coincée qui fait la morale.
Tracey évoque la « répression sexuelle de la religion » qui, hypocrite et autoritaire, traque les mauvaises pensées, les péchés. Elle donne une image désacralisée de l’Eglise, qui apparaît comme une troupe malsaine qui porte un message culpabilisateur.
La lecture du travail de Tracey Rose est très diverse. On est à la fois amusé, bouleversé, mal à l’aise devant ce qui nous est montré. Tracey prend des risques. Non seulement par les sujets qu’elle aborde, mais aussi parce qu’elle se met elle-même en scène, face au spectateur, quitte à le provoquer. A travers ses performances et vidéos, on est forcé de se poser une question que Tracey considère comme « très importante et très dangereuse ». « Pourquoi ? » La place de l’artiste réside aussi dans cette nécessité de susciter des interrogations sur les ordres établis.
Malika Ouedraogo